Police partout, Sécurité nulle part !
Policiers et gendarmes français viennent d’enchainer une huitième nuit de manifestations dites « spontanées » pour décrier les conditions dans lesquelles ils travaillent et dénoncer la montée des violences à leurs égards. De façon surprenante, les premières revendications ne visent pas leur sous-équipement, le manque d’effectif ou de moyens - même si ces réalités commencent désormais à arriver dans leurs discours.
Non, non ! Les premiers balbutiements de ces grands gaillards montrent du doigt la virulence et de manque de respect des trafiquants, des terroristes, des bandits et des criminels qu’ils viennent appréhender, ainsi que le manque de sécurité et le climat « chaleureux » qu’ils disent recevoir lorsqu’ils interviennent dans ce qu’ils appellent des « zones de non droit » ; Vous savez les fameuses « No Go Zones » françaises que les télés américaines décrivaient il y a à peine un an.
Bon, ce manque de communication, nous pouvons le comprendre par « l’identité » qu’ils s’accordent à décrire aux micros qui leur sont tendus. Ils se présentent comme étant des fonctionnaires lambdas hors du champ syndical - qu’ils considèrent comme trop connoté - , comme des fonctionnaires apolitiques respectueux du code de déontologie de leur métier.
Alors que le gloubi-boulga des caméras n’est jamais avare de visuels et d’images choc, les télévisions, qui ne sont plus à un paradoxe près, ont pris le parti de flouter les visages et filmer les pieds des policiers mobilisés sur l’espace public. D’habitude, lorsqu’il s’agit de nous informer, de nous parler de manifestation ou de mobilisation, les médias préfèrent proposer à nos yeux curieux les visages ensanglantés et endoloris par les larmes, la haine et la violence des « fauteurs de troubles ». Des victimes des attentats en pleurs tenant le cadavre d’un proche aux Zadistes de Sivens, des manifestants contre la loi Travail aux déchemiseurs d’Air France, il faut bien que nous nous rendions compte de qui il s’agit et de ce qui se passe !
Plusieurs questions traversent dès lors l’esprit des observateurs aguerris que nous sommes : Cette manifestation est-elle inédite dans l’Histoire de notre pays ? Les manifestants sont-ils autant apolitiques qu’ils le prétendent ? Ont-ils réellement le droit de manifester de la sorte ? Comment le gouvernement et l’État doivent-ils réagir à cela ? Quels sont le contexte et les raisons de ce malaise ? Quelle police voulons-nous ?
En premier lieu, le kaléidoscope propose de jeter un regard dans le rétroviseur car il semble que des manifestations de policiers en colère, cela arrive quand même de temps en temps.
Depuis la libération, deux journées de grogne policière ont marqué notre Histoire : celle du 13 mars 1958 et du 3 juin 1983.
Rendons nous tout d’abord en 1958 ! Le 13 mars de cette année, des policiers en colère se rassemblent, hurlant et sifflant, devant les portes de l'Assemblée nationale. Ils réclament un réajustement de leurs salaires et des primes de risques. Ils affirment se sentir menacés par les groupes armés de la fédération de France du FLN – n’oublions pas qu’en 1958, la France est enfoncée dans la guerre d’Algérie – et dénoncent l’assassinat d’un de leur collègue quelques semaines plus tôt. Alors qu’en 1948, la police avait accepté le retrait de son droit de grève, cette fois-ci elle compte bien se faire entendre usant de son droit syndical. Bousculades, invectives, injures et quolibets vont finalement avoir gain de cause : une délégation sera reçue par les députés et aucune sanction ne sera distribuée ! Selon Le Figaro du lendemain: « la carence de l'autorité qui de ministère en ministère, de demi-promesses à demi tenues en demi-refus moins résistants encore laisse croître un énervement au bout duquel le mécontentement devient explosif. »
Pour l’historien Emmanuel Blanchard, spécialiste de cette période, l'action sans précédent des policiers a alimenté la crise du régime parlementaire et « sapé les fondements de la IVème République ». Elle a prouvé la fragilité de l'allégeance policière au pouvoir et en mai suivant l'arrivée du général de Gaulle à la tête du Conseil sonne le glas de celle-ci.
Reprenons la DeLorean ! Le 3 juin 1983, une nouvelle fronde policière éclate suite à l’assassinat de deux gardiens de la paix en civil dans le IXème arrondissement de Paris. La manifestation, à l’appel de l’USCP, qui réunit entre 1500 et 2000 agents (selon les syndicats et la police, pour une fois, ils étaient d’accord sur le chiffre!), décide de se rendre à la place Vendôme, siège du ministère de la Justice pour exprimer les inquiétudes et manifester leur colère à l’égard des ministres de l’Intérieur et de la Justice, aux cris de « Badinter, démission ! » et de « la Gauche est laxiste » (en forme de réprimande envers la suppression de la peine de mort par la France). En parallèle, une seconde manifestation de 2500 policiers a lieu à l’appel d’un syndicat proche de l’extrême droite, la Fédération professionnelle indépendante de police (FPIP) et s’est donné rendez-vous avec le président du FN, Jean-Marie Le Pen. Ce second défilé se rend alors place Beauvau, siège du ministère de l’Intérieur, qu’un cordon de CRS a laissé passé en soutien... Bien qu’autorisés à manifester, les policiers ont bafoué plusieurs règles en ce domaine (aucune déclaration préliminaire, certains manifestants en uniforme ou armés !). Le préfet de police de Paris, Jean Périer, a présenté sa démission et il a été mis fin aux fonctions du directeur général de la police nationale, Paul Cousseran.
A la lecture de ces deux mouvements, il convient de considérer qu’une mobilisation des forces de l’ordre n’est jamais apolitique dans le sens sociologique du message que celle-ci transmet à la population. Si la mission première de la police est avant tout de protéger, une manifestation corporatiste ne peut déroger aux règles sous peine de rendre illisible les revendications qu’elle souhaite adresser et surtout d’attirer l’antipathie de ceux qui devraient lui être reconnaissants.
D’ailleurs, l’Histoire ne se répète t’elle pas ? Que cela soit en 1958, en 1983 et en 2016, ce sont des agressions violentes contre des policiers qui amènent en réaction la colère et en suivant la réclamation de la reconnaissance par autrui par l’octroi de moyens supplémentaires. Identiquement, les climats anxiogènes des évènements politiques d’une époque impactent et amplifient le malaise ressenti par les forces de l’ordre. Les tentatives de récupération politique de l’extrême droite, à l’image de celle opérée en ce mois d’octobre par Rodolphe Schwartz, en 1983 par Jean-Marie Le Pen, n’ont pour buts véritables que d’attiser les tensions, et de fantasmer l’insécurité pour la fixer sur des individus et des territoires. Si pour eux, la fin justifie les moyens, les progressistes ne peuvent se contenter de bouts de sparadraps pour soigner les maux d’une société malade, et dont la violence n’est qu’un symptôme.
Comme nous l’avons vu pour la manifestation de 1983, les rassemblements de ces derniers jours ont eu lieu sans déclaration préalable à la préfecture de police, or l’article 431-9 du code pénal punit de 7 500 euros d’amende et de six mois d’emprisonnement le fait d’organiser « une manifestation sur la voie publique n’ayant pas fait l’objet d’une déclaration préalable dans les conditions fixées par la loi ». En effet, si les policiers, comme les militaires, n’ont pas le droit de se mettre en grève – conformément à l’article L-4121-4 du code de la défense – leur droit de manifester est plus trouble. Selon le code de déontologie de la police et de la gendarmerie qui date du le 18 mars 1986, les fonctionnaires de police ne peuvent, lorsqu’ils sont en fonction, exprimer ou manifester leurs opinions politiques, religieuses ou philosophiques. En civil et hors service, ils peuvent s’exprimer « librement » mais « dans les limites imposées par le devoir de réserve et par la loyauté à l’égard des institutions de la République », selon l’article 434-29 du code de déontologie. Dans une note consultée par l’AFP, le préfet de police de Paris, Michel Cadot, a justement rappelé aux agents de la police nationale leur « code de déontologie » et leur « devoir de réserve et de loyauté ».
Outre les anarchistes et les libertaires, nul ne peut penser que la République peut se passer d’une police. Dans sa caractéristique particulière et son trait d’humour, Gotlib avait bien déclaré : « Un état sans police c’est comme une soupe sans moustache. »
Les questions qui se posent alors, sont de savoir quelle est la police en adéquation avec la société ? Et quel degré d’autorité les politiques estiment-ils nécessaire d’attribuer à la police dans les missions qu’ils désirent lui confier ?
Balzac, dans Splendeurs et Misères des courtisanes, avait commencé à y réfléchir : « Les parquets, les Tribunaux ne peuvent rien prévenir en fait de crimes, ils sont inventés pour accepter tout faits. Sous ce rapport, une police préventive serait un bienfait pour un pays ; mais le mot police effraie aujourd'hui le législateur, qui ne sait plus distinguer entre ces mots Gouverner, Administrer, Faire les lois. Le législateur tend à tout absorber dans l'État, comme s'il pouvait agir. »
Le député Jean Jaurès, dans un discours devant la représentation nationale en avril 1894, dénonçait la violence de la police et l’usage d’agents provocateurs, notamment lors des grèves de Carmaux, « C’est ainsi que vous êtes obligés de recruter dans le crime de quoi surveiller le crime, dans la misère de quoi surveiller la misère et dans l’anarchie de quoi surveiller l’anarchie. (Interruptions au centre. - Très bien ! Très bien ! à l’extrême gauche.) Et il arrive inévitablement que ces anarchistes de police, subventionnés par vos fonds, se transforment parfois - comme il s’en est produit de douloureux exemples que la Chambre n’a pas pu oublier - en agents provocateurs. ».
Alors oui, la vision idéale devrait se trouver entre le désir de prévention et le refus de la répression !
Pour revenir plus proche de notre époque et tenter de répondre de façon concrète au dosage à choisir, l’expérience menée de 1998 à 2002 pour une police de proximité fut à mon sens la meilleure réflexion politique sur le sujet, c’est à dire de savoir de quelle police nous souhaitons pour notre République.
Sous l’impulsion du gouvernement Jospin, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’intérieur aidé de son conseiller Jean-Pierre Havrin, décide en 1998 la mise en place de la police de proximité au sein de la police nationale. Il s’agit d’une doctrine d'emploi de la police au plus proche de la population, au sein même des quartiers dits « sensibles » ou en difficultés. Peu à peu, le dispositif est déployé sur l’ensemble de l’hexagone. L'objectif principal poursuivi par la création de la police de proximité réside dans la volonté de l’Etat de réduire le « sentiment d'insécurité », dans un travail alliant la prévention et la lutte contre les actes de délinquance. In fine, au delà du « vivre ensemble » à la mode et décliné à toutes les sauces, c’est autant une volonté de changer les relations entre le policier et l’habitant que de changer l’appréciation de l’un sur l’autre, et vice et versa. Bref, l’idée était de créer un partenariat humain et respectueux, une sorte de coproduction de la sécurité au cœur des lieux, des espaces et des territoires qui en ont besoin le plus.
Dès son arrivée au ministère de l'intérieur, en 2002, Nicolas Sarkozy prend la décision de supprimer la police de proximité mise en place par la gauche. Le 3 février 2003, en visite à Toulouse dans l’une des zones sensibles qu’il se vante de vouloir reconquérir, Sarkozy humilie publiquement, devant les caméras, trois îlotiers d’un commissariat de quartier: « La police n'est pas là pour organiser des tournois sportifs, mais pour arrêter des délinquants, vous n'êtes pas des assistantes sociales. Quelques jours plus tard, Jean-Pierre Havrin, alors directeur départemental de la sécurité publique de Toulouse et comme nous l’avons vu plus tôt, l’un des pères de la police de proximité, est muté pour des résultats jugés mauvais. Nicolas Sarkozy annonce vouloir intégrer l’intéressement et des objectifs chiffrés afin de mieux évaluer le travail des policiers.
Cinq ans plus tard, suite aux échauffourées à Villiers-le-Bel (Val d'Oise) de novembre 2007, le projet des unités territoriales de quartier (UTEQ) est imaginé pour combler le vide laissé sur le terrain. A peine lancé, le dispositif phare du gouvernement en matière de sécurité est gelé et 2000 postes sont supprimés en raison de la révision générale des politiques publiques (RGPP) qui impose, ici comme ailleurs, une baisse des effectifs dans la fonction publique. La réalité urbaine et les critiques qui s’en suivent sont cinglantes. La police a changé de visage, elle ne vient plus dans les quartiers en difficulté qu’en intervention express, qu’en opération commando et elle a vêtu ses agents en « Robocop » les équipant de flash-balls, de tasers ou de casques pare-balles. Naturellement, les sentiments d’injustice amène à tendre les relations et la perception des forces de l’ordre. L’accueil leurs étant réservé devient glacial et brutal et les caillassages deviennent coutumiers.
Mais au fait, qu’a proposé le candidat François Hollande en 2012 coté Police/Justice ?
Tout comme Ségolène Royal, qui en avait fait l'une des 100 propositions de son pacte présidentiel en 2007, le programme du candidat Hollande prévoyait de recouvrer la police de proximité et de créer des « zones de sécurité prioritaire ». Le projet est donc présenté en 2012 par… Jean-Pierre Havrin : « Il s'agit d'implanter des "proximiers". Ce sont des équipes, toujours les mêmes, chargées de renouer le contact avec la population ». L'idée forte du projet est de remettre les policiers sur le terrain, le plus souvent possible pour « retourner les liens qui unissent police et population. Si la police est considérée comme une ennemie, alors on ne s'en sortira pas. ». Pour ce faire, François Hollande a promis la création de 9000 postes à répartir entre police, gendarmerie et justice avec de nouveaux agents affectés à la police de proximité ainsi que des CRS et des gendarmes mobiles « fidélisés » dans le cadre de cette police de quartier.
Juin 2016, la cour des comptes rend son verdict. Sur la période 2012-2015, sur les 9000 postes promis, seuls 390 emplois ont été réalisés. En sus, les actes terroristes qui ont touché la France cette dernière année ont réclamé une mobilisation de la police de tous les instants. Certes, la police a reçu une reconnaissance publique de la part des français après les attentats de Charlie Hebdo – au point que le chanteur Renaud ronronnait vouloir rouler une gamelle à l’un d’eux - mais le constat est sans appel : la reconduction de l’état d’urgence a mis les forces de l’ordre autant sur les crocs que sur les rotules.
En conclusion, les revendications actuelles des policiers sont peut-être justes sur les moyens à doter, mais accuser l’État d’être responsable de l’insécurité dans tout le pays, alors qu’ils sont censés travailler pour ce même État est quelque chose de très gênant. Policiers et gendarmes sont dépositaires de l’usage de la force et sont censés le respecter. Tenter de vouloir utiliser cette force et aller jusqu’à l’intimidation est irresponsable : c’est un détournement d’un outil qui est in symbole même de la démocratie. L’État providence, qui se veut l’antithèse de l’État policier, ne peut faire l’impasse sur la globalité du projet de société qu’il souhaite, sous peine de continuer à coller des sparadraps et risquer d’infecter les plaies par la peste brune.
Amitiés progressistes,
Laurent Beaud