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le Kaléidoscope....
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12 avril 2014

Décentralisation: Si on peut gouverner de loin, on n'administre bien que de près... (2)

« Oyez, Oyez  France jacobine ! Oyez, oyez peuple montagnard ! La république doit rester souveraine et indivisible tout en admettant que la crise impose désormais une nouvelle forme de réflexion sur l’action publique et son organisation territoriale. » disais-je dans un article il y a près d’un an. Le sujet est brulant et l’actualité récente impose d’y revenir quelques instants.

Constats, Causes, Conséquences…

Dans son discours de politique générale prononcé ce mardi 8 avril 2014 devant l’assemblée nationale, le nouveau premier ministre socialiste n’y va pas par quatre chemins ; d’ailleurs il paraît qu’il s’agit là de sa marque de fabrique. Manuel Valls fait en premier lieu le constat sévère de la déception, du doute, du mécontentement et de la colère de nos concitoyen-ne-s et de la vision dégradée qu’ils portent vers la chose publique, vers le monde politique.

« Trop de souffrance, pas assez d’espérance, telle est la situation de la France. Et c’est conscient de cette réalité que je me présente devant vous. Les Français nous regardent. Ils attendent beaucoup de nous. Et mon devoir, c’est de me hisser à la hauteur de leurs exigences. Par leur vote ou leur abstention historique lors des dernières élections municipales, ils ont dit leur déception, leur doute, leur mécontentement et parfois leur colère. Ils ont dit leur peur de l’avenir. Leur avenir, et celui de leurs enfants. Et puis il y a aussi cette exaspération quand, à la feuille de paie déjà trop faible, s’ajoute la feuille d’impôt trop lourde. Enfin, ils ont exprimé leur soif de justice. J’ai entendu leur voix. J’ai aussi entendu leur silence. Ils se sont prononcés contre l’impuissance politique. Ils veulent des résultats concrets en matière d’emploi, de lutte contre la précarité, de vie chère. (…)

La réalité est là, et il faut la regarder, sans trembler. (…) J’ai vu ces visages fermés. Ces gorges nouées. Ces lèvres serrées… Disons les choses simplement : beaucoup de nos compatriotes n’y croient plus. Ils ne nous entendent plus. La parole publique est devenue pour eux une langue morte. Le présent est instable, l’avenir est illisible. Peu de Français se sentent à l’abri. (…)

Mais la crise économique et sociale n’explique pas, à elle seule, la crise de confiance. Il y a aussi une crise civique, une crise d’identité. Dans un monde qui bouge si vite, les Français doutent de la capacité de notre modèle républicain à promouvoir, à protéger et à intégrer.

Dès lors, la tentation du repli devient plus grande, partout, dans nos territoires ruraux, périurbains, mais aussi dans nos villes lézardées par des fractures communautaristes qui prennent le dessus sur l’idée d’appartenir à une même nation. » 

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Bref, Manuel Valls dans un traditionnel « Constats, Causes, Conséquences » que nos chers profs apprécient particulièrement entre dans le vif. Outre les grandes lignes du pacte de Responsabilité et la mise entre parenthèses des réformes de type « gauche sociétale » (Il a parlé « d’apaisement » sur les questions de société) l’essentiel du fond politique proposé est l’insistance significative et claire de faire des économies, beaucoup d’économies, en passant par ce que le nouveau premier ministre « de combat » appelle le « Big Bang territorial ».

En effet, afin de pallier à l’indispensable indépendance financière nationale, nous verrons donc la réductions de trois grandes masses : l’Etat et ses agences pour 19 milliards d’euros, l’assurance maladie pour 10 milliards et les collectivités locales pour 10 milliards, soit près de 50 milliards d’euros d’économies étalées sur trois ans  (et cela dès 2015).

Parmi les choix visant à faire des économies de dépenses, celui de faire des réformes de structures au niveau de l’indigeste « millefeuille » administratif est ainsi acté. Il est proposé de réduire de moitié le nombre de régions à l’horizon 2017, de revoir et clarifier les compétences des collectivités pour viser efficience, et de prévoir l’éventualité de la suppression des départements à l’horizon 2021. 

« Je propose quatre changements majeurs susceptibles de dépasser les clivages partisans :

- Le premier concerne nos régions : Il s’inspire du rapport des sénateurs Yves Krattinger et Jean-Pierre Raffarin. Nos régions doivent disposer d’une taille critique. Ainsi elles auront tous les leviers, toutes les compétences, pour accompagner la croissance des entreprises et encourager les initiatives locales. Je propose de réduire de moitié le nombre de régions dans l’hexagone. Sur la méthode, il s’agit de faire confiance à l’intelligence des élus. Les régions pourront donc proposer de fusionner par délibérations concordantes. En l’absence des propositions, après les élections départementales et régionales de mars 2015, le gouvernement proposera par la loi une nouvelle carte des régions. Elle sera établie pour le 1er  janvier 2017.

- Mon deuxième objectif, c’est l’intercommunalité : Une nouvelle carte intercommunale, fondée sur les bassins de vie entrera en vigueur au 1er  janvier 2018.

- Mon troisième objectif, c’est la clarification des compétences. C’est pourquoi je proposerai la suppression de la clause de compétence générale. Ainsi les compétences des régions et des départements seront spécifiques et exclusives.

- Enfin, mon dernier objectif est d’engager le débat sur l’avenir des conseils départementaux. Je vous propose leur suppression à l’horizon 2021. Je mesure l’ampleur de ce changement. Il nous faudra notamment répondre au sentiment d’abandon qui existe dans nos départements et territoires ruraux. Ce changement donnera lieu à un profond débat dans le pays qui associera les élus et les citoyens. Mais il est désormais temps de passer des intentions aux actes. 

Pour ce qui concerne l’Etat, sa présence sur l’ensemble du territoire est indispensable. Le maillage territorial des préfectures, des sous-préfectures, ne sera pas remis en cause, mais il faudra l’adapter progressivement à la nouvelle donne territoriale. C’est la garantie d’un accès égal de tous les citoyens aux services publics. Je veux d’ailleurs rendre hommage à l’ensemble de ces agents, qui sont le visage du service public »

decentralisation

Bien entendu, ce vent réformateur, qui entend balayer sans le dire les acquis fondamentaux de la Révolution française, souffle déjà depuis quarante ans et converge avec les effluves nauséabonds des réalités économiques, sociales et écologiques. Partagée entre héritage de la Révolution et ambition modernisatrice, l’organisation territoriale française est devenue incompréhensible pour l’ensemble des citoyens tant les compétences se chevauchent ou sont abstraites pour ceux-ci. Il convient donc de rationaliser, de simplifier, d’éclaircir… de décentraliser ou de re concentrer, c’est selon de quel côté de la balance nous nous situons, une distorsion de l’individu dans la collectivité entre jacobinisme et Montagne.

En transférant de nouvelles compétences économiques aux régions, l’Etat reconnaît que les territoires sont les mieux placés pour favoriser l’innovation. Pour qu’une telle réforme soit une véritable réussite dans le contexte économique compliqué actuel, il est nécessaire de dégager des objectifs prioritaires clairs, efficaces et audacieux. 

En voici quatre qui sont selon moi primordiaux :

- Améliorer la qualité de vie, en particulier des personnes les plus en difficulté, car il y a recouvrement entre inégalités sociales et inégalités territoriales. Miser notamment sur le renforcement des services publics locaux ;

- Promouvoir des avancées en matière de démocratie active et de citoyenneté ;

- Faciliter un modèle de développement économique et d’aménagement du territoire basé sur la solidarité et la relocalisation de l’économie;

- Mettre en œuvre la planification écologique et à cet effet promouvoir la dimension inter territoriale car ce qui compte aujourd’hui, ce sont d’une part les relations solidaires et coopératives  entre le rural et l’urbain et d’autre part la gestion de grands réseaux d’usage au service du bien commun.

De multiples questions…

De nombreuses questions viennent à nous, concernant la mise en œuvre de cet « acte » de décentralisation.

Tout d’abord, en annonçant la réduction des dotations de l’Etat aux collectivités territoriales dès 2015, Manuel Valls ne précise pas vers lesquelles. Mais en précisant l’objectif de réduire le nombre de régions en 2017 et de supprimer les départements en 2021, il est de toute évidence que les conseils départementaux et régionaux élus en 2015 devront se contenter de dotations dites de fonctionnement et seront cantonnés à des projets à courts termes. De plus, il risque d’y avoir une distribution des crédits à géométrie variable en fonction des fusions obtenues (par délibérations concordantes), qui ne manqueront pas de faire valoir leurs poids et leurs envies ou besoins pour la construction de projets à plus longs termes ; une certaine forme de compétition risque se mettre en place.

Pour compenser les manques à « rentrer », un certain nombre de collectivités vont être tentées de relever leurs taux d’imposition, ce qui aura un effet dévastateur auprès des contribuables locaux qui ne comprendront pas pourquoi ils doivent payer d’avantage pour des entités amenées à disparaître, à être divisé ou fondu dans de nouvelles.

Ensuite même si le nombre de collectivités est réduit, il ne faudra pas tomber dans les erreurs parfois inhérentes à ce genre de situation. Quand une entreprise décide de fusionner deux services pour faire des économies d’échelle, elle mutualise les compétences et n’additionne pas ses effectifs : lorsqu’un seul employé suffit à réaliser une tâche, elle n’en conserve pas deux ! Quid des milliers de fonctionnaires en poste ? Quelle est la faisabilité de la fusion des effectifs et des services? La grogne risque fort de se faire sentir. Identiquement, pour faire des économies, il ne peut être concevable de croire qu’il sera possible de conserver les élus de plusieurs assemblées délibérantes dans une seule. Les rancœurs politiciennes devraient rapidement faire surface.

Concernant les territoires concernés, voués au déchirement ou à la disparition, l’ire ne tardera pas à se faire sentir. « Souvenons-nous que, quand l’échelon départemental fut remis en cause par le rapport Attali, à la demande de Nicolas Sarkozy, André Vezinhet fut certainement le meilleur défenseur des départements au niveau national ! » rappelle le député Patrick Vignal dans Aux Actes Montpelliérains !.

Découpage et Fusion sont les deux mamelles de l’ENA

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La France a une longue tradition de centralisme administratif. Comme l’a noté Alexis de Tocqueville dans l’Ancien Régime et la révolution, cette centralisation est l’œuvre de la monarchie, qui a peu a peu réduit à néant le rôle politique que jouait la noblesse dans les provinces.

Elle a été ensuite accentuée par la Révolution et plus particulièrement par Napoléon (création des préfets). Dans les années 1960, la nécessité d’une décentralisation s’est faite jour. L’idée était d’accroître peu à peu l’indépendance et les pouvoirs des collectivités locales et l’acte de décentralisation de 1982 a complété le « millefeuille ».

Ce qui m’inquiète, c’est la mainmise de la bureaucratie, largement issue de l’E.N.A. sur les questions d’aménagement du territoire. Cette bureaucratie persiste à nous ressortir régulièrement des vieux cartons, quel que soit la couleur politique du gouvernement en place, les mêmes projets, et elle adore découper, coller, remembrer, déchirer et fusionner. Tel que le définit Max Weber, la bureaucratie est « une forme d’organisation générale caractérisée par la prépondérance de règles et de procédures qui sont appliquées de façon impersonnelle ». Pour Michel Crozier, il s’agit « d’une organisation qui ne peut ni se corriger facilement en fonction de ses erreurs, ni innover ou s’adapter sans crise aux transformations de son environnement. ». Pour moi, c’est un travail souterrain inquiétant.

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Ces derniers jours, l’on voit fleurir une multitude d’hypothèses, de cartes géographiques proposant des réorganisations diverses parfois plus farfelues les unes que les autres.

C’est vrai que cela fait beaucoup de niveaux et que l’organisation du territoire est trop complexe, mais je méfie des simplifications technocratiques et de leur fausse rationalité car elles ne tiennent pas compte de l’histoire, des identifications locales et de la façon dont, dans la vraie vie, les choses se passent.

Quitte à fondre les départements et à créer de nouvelles régions, il est indispensable de prendre en considération une « foultitude » de données et d’oublier les « frontières » existantes pour l’heure. En raison des disparités économiques et des répartitions inégales de population sur un territoire national, les découpages administratifs actuels n'ont aucun sens. Je recommande donc à nos « grands fonctionnaires » énarques la lecture des ouvrages de la collection Dynamiques du territoire, coéditée par le GIP RECLUS et La Documentation Française 

"Le Monde est en pleine recomposition, les pouvoirs changent de niveau, les firmes jouent avec les localisations. Mieux connaître les transformations des territoires devient une nécessité; se les représenter dans leurs disparités, leurs ruptures, leurs liaisons est un besoin et un avantage. ». La collection Dynamiques du territoire a été créée conjointement par le Groupement d'Intérêt Public RECLUS et par la Documentation Française pour apporter à ce sujet des éléments de réponse raisonnés et des images fortes. Elle met à la portée des décideurs et de leurs conseillers, des entreprises, des collectivités locales, des enseignants, formateurs et étudiants les acquis récents de recherches scientifiques sur les territoires et sur la distribution de phénomènes économiques, culturels, politiques et sociaux, présentés sous une forme vivante et claire, et appuyés par un large usage de la carte et de la couleur. La collection s'élabore à différentes échelles: la région et ses contenus, la France entière, l'Europe, le Monde. Elle associe, sous une forme soignée, des bilans et des analyses, des atlas et des textes illustrés.

L’ouvrage Atlas des villes de France de Denise PUMAIN et Thérèse SAINT-JULIEN  est le fruit d'une triple collaboration entre l'équipe P.A.R.I.S., le DESS de cartographie de Paris I et l'équipe de la Maison de la Géographie (Bises à mes amis géographes de l’UPV) ; Il est articulé en 9 chapitres: Dynamiques, Populations, Activités, Centralité et réseaux, Travail et qualifications, Revenus et finances, Logement, Qualité de la vie, Images de villes, et comporte une partie sur les perspectives, méthodes et sources. L'étude, réalisée dans le cadre de l'Atlas de France du GIP, porte sur les 228 unités urbaines de plus de 20 000 habitants.

À l'heure où les villes s'interrogent sur leurs chances et leurs atouts dans l'Europe de demain, cet ensemble exhaustif et sans équivalent est susceptible de rendre les plus grands services…

Je pense qu’il serait judicieux d’appréhender l’entité région  sous le volet européen à la veille d’élire nos eurodéputé-e-s. En effet, ils sont attachés à de grandes circonscriptions qui en fonction des choix, ne correspondront à aucun territoire défini ; plus précisément ils seront choisi dans une circonscription politique qui recouvrera ultérieurement plusieurs nouvelles régions de façon partielle et non intégrale. Bonjour la coopération Europe/Régions !

En conclusion, un nouvel acte de décentralisation doit être bénéfique pour l’intérêt général mais uniquement sous conditions. La réflexion risque d’être longue et compliquée.

Laurent Beaud

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