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le Kaléidoscope....
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18 juin 2014

De beaux lendemains? Ensemble, Repensons le progrès*

Et c’est parti ! La coupe du monde de Football vient de s’ouvrir au Brésil. Le ballon rond et les exploits de ses stars vont inonder les écrans des télévisions de la planète, faire crier et lever les fans, les passionnés, des spectateurs issus de toutes les catégories sociologiques et culturelles… mais surtout la coupe va faire vendre, et vendre beaucoup ! Mais quelque part la réalité du sport et du spectacle sportif est ainsi faite : l’espace-temps publicitaire se trouve élargi de façon considérable, l’investissement finançier est conséquent, et l’image ou l’imaginaire touristique lié au pays organisateur de ce genre d’événement doit être belle, propre et attractive, et cela au risque d’oublier parfois l’essentiel.

 

20140629_175800

La Samba et les applaudissements des stades sauront t-ils couvrir à tout prix les cris de misère et de colère qui s’élèvent un peu partout au pays de Ordem e Progresso (Ordre et Progrès) ?

Dans un récent article du journal Le Monde, intitulé Un Brésil en colère contre lui-même accueille la Coupe du monde, Nicolas Bourcier explique que Dilma Rousseff, l’héritière de Lula, ne prendra pas la parole lors de la cérémonie d’ouverture par peur de la réprobation du public. Dans le pays où le football est roi, certains ne semblent pas comprendre pourquoi l’argent du Mundial ne pourra pas servir aux plus modestes, alors que les inégalités socio-économiques sont toujours flagrantes et grandissantes entre les nouveaux riches de ces dernières années et les enfants des favélas. La question est donc de savoir si l’image que le Brésil veut donner au reste du au monde nécessite réellement d’autoriser ou de permettre l’expulsion de milliers d’habitants pauvres que l’on ne voudrait pas montrer ou assumer, sans de vraies contreparties ? Les mouvements de contestation brésiliens, doivent soulever en nous des questionnements qui outrepassent la passion du jeu, mais révéler aussi les tristes constats en ce qui concerne l’évolution du progrès et les relations de celui-ci avec l’argent, avec l’ordre, avec le sport.

Wallpaper Brasil - PD3D (1)

Certes, la grand messe du sport Business va faire grincer des dents, mais c’est dans l’analyse sociologique, philosophique et politique de la notion de progrès qu’il convient de s’interroger afin de trouver des réponses sur la société que nous souhaitons construire. Il s’agit d’abord de concevoir le sens même de la place, du rôle, et les représentations que nous nous faisons des acteurs du spectacle. Il est au préalable à comprendre que lorsque l’humain dépense pour se divertir, sa passion déforme la rationalité qu’il en a et la perception du travail réalisé en amont par les protagonistes du spectacle. Ainsi le football par exemple sait parfaitement attirer un public populaire et l’inciter à dépenser plus que de raison pour assister aux exploits de champions bien souvent coupés des réalités sociales et économiques. Comment comprendre que des sportifs reçoivent des revenus aussi importants pour exercer leurs talents, et soient autant adulés par des modestes ? Y a-t-il un niveau décent de rétribution, que la société peut accepter quand nos systèmes politiques et économiques traverses autant de crises ?

A mon sens, il est intéressant de mettre en corrélation certains aspects du monde sportif avec ceux de la culture, avec des regards parallèles sur les contestations brésiliennes et le mouvement de grève des intermittents du spectacle en France. Au travers de divers angles, la perception que le public, que les citoyens portent à la notion travail dans les secteurs de la culture et du sport, la vision qu’ils ont de la rétribution, de la redistribution et de la valeur intellectuelle ou financière créée est fort à propos. Ainsi si les cariocas s’insurgent, si les intermittents manifestent,  tous réclament la même chose … du Progrès !

Jean Jaurès considérait pour d’autres raisons, qui toutefois sont non loin de celles évoquées, que « Les progrès de l’humanité se mesurent aux concessions que la folie des sages fait à la sagesse des fous ».

Dans sa théorie critique du sport, le sociologue et philosophe montpelliérain, Jean-Marie Brohm déclarait celui-ci comme étant l’« opium du peuple », à l’image de la formule développée par Karl Marx et des considérations du théoriciens sur une religion pleine de dogmes et d’orthodoxie. Je pense effectivement que Marx aurait eu un réflexion similaire s’il avait observé la naissance du sport moderne, celle-ci apparaissant seulement quelques années après sa mort dans l’Angleterre où il avait pris ses quartiers.

Pour Jean-Marie Brohm, le sport est plus qu’un jeu, c'est un moyen de gouvernement, un moyen de pression vis-à-vis de l'opinion publique et une manière d'encadrer idéologiquement les populations et une partie de la jeunesse, et cela dans tous les pays du monde, dans les pays totalitaires comme dans les pays dits démocratiques. Le sport est devenu un secteur d'accumulation de richesse, d'argent, et donc de capital. Le sport est désormais un symbole de l’économie ultralibérale et mondialisée.

« Le sport est très souvent présenté comme un fait universel, un invariant culturel. Sous des formes certes changeantes, il aurait été pratiqué à toutes les époques et sous toutes les latitudes. (...) Phénomène transhistorique, il serait également au-dessus des batailles politiques, des luttes de classe et des conflits armés. Il formerait un monde à part, une sorte de supra-nation, un « gouvernement universel ». Le sport, et plus particulièrement l’olympisme, cette « ONU sportive » , aurait ainsi une mission humanitaire à accomplir, une sainte croisade à mener : contribuer à la paix sur terre, établir et maintenir la cohésion et « la paix sociale », instaurer l’entente cordiale entre les hommes de bonne volonté (sportive), en les rassemblant, par-delà leurs convictions (religieuses ou politiques) et leurs origines (sociales ou raciales), autour d’une même ferveur religieuse (la passion du sport, la communion athlétique).

Intrinsèquement neutre et politiquement correct, le sport œuvrerait essentiellement pour l’amitié, la réconciliation, l’harmonie sociale, la coexistence pacifique, bref, l’apaisement et la résolution de tous les conflits. Aussi, tous les partis politiques (excepté une partie de l’extrême gauche et certaines organisations libertaires) s’accordent pour célébrer les bienfaits du sport et récitent régulièrement tous les poncifs du catéchisme sportif : égalité des chances, loyauté de la lutte olympique, exemplarité de la valeur éducative (école de vertu, de solidarité, de « droiture morale », etc.), universalité de la « culture » sportive, « message d’espoir pour tous les opprimés », rassemblement fraternel, pacifique (œcuménisme sportif, mythe de la trêve olympique), etc.

Or, ce qu’il faut affirmer, c’est que cette représentation du sport comme sphère autonome et apolitique  est un mythe tenace qui permet d’occulter la réalité peu reluisante du spectacle sportif contemporain (notamment le dopage et les violences endémiques), ses nombreuses collaborations (ou collusions) avec des régimes politiques totalitaires et son parti pris idéologique réactionnaire. D’une part, le sport est, dès son apparition, indissociable du système capitaliste, dont il est pétri des valeurs, d’autre part, il est une « dépolitisation des réalités du monde » (Michel Beaulieu), dictant à des milliards d’individus une « vision sportive de l’univers ». »

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(c) Vincent Aitzegagh

Comme le notait le sociologue Norbert Élias, il y a bien une sociogenèse du sport qui va imprimer sa marque de fabrique sur sa constitution originelle et conditionner son développement. Dans son apparition, le sport va naturellement intégrer au mode de production capitaliste et l’appareil d’État bourgeois. L’institution sportive est organiquement, incorporée au système de production capitaliste dans lequel elle s’épanouit. La diffusion et l’emprise planétaire du sport, vont accompagner l’expansion impérialiste du système capitalisme. C’est dans cette paternité que réside la singularité du sport.

Jean Marie Brohm complète alors par une vision d’incompatibilité entre le sport et le progrès.

« De ce point de vue, il ne saurait y avoir d’un côté un « sport ouvrier », une version socialiste (prétendue authentique) du sport (et encore moins un usage révolutionnaire de celui-ci), et d’autre part une confiscation bourgeoise, capitaliste qui serait, elle, dénaturée, défigurée, corrompue et qui expliquerait toutes les soi-disant « déviations » ou « dégradations » de l’idéal olympique. La logique sportive est la même à l’Est qu’à l’Ouest. Les récentes révélations sur l’institutionnalisation du dopage en ex-RDA (longtemps présentée comme le paradigme du sport communiste), sa planification scientifique et son étatisation devrait définitivement dessiller les incrédules ou les idéalistes intégristes. Le sport est porteur de toutes les « valeurs » capitalistes qu’il contribue à plébisciter en les présentant comme « naturelles », comme allant de soi et nécessaires : lutte de tous contre tous (struggle for life), sélection des « meilleurs » et éviction des « moins bons », transformation du corps en une force essentiellement productive, recherche du rendement maximum, de son exploitation optimale (la performance), etc.(…)

A maintes reprises des opposants politiques, des « subversifs », des indésirables (étudiants, mendiants, petits voyous, prostituées, etc.) ont été évacués, emprisonnés, éliminés, pour que l’organisation des grandes rencontres sportives soit irréprochable et que nul « élément perturbateur » ne vienne ternir la bonne image que se composait le pays hôte. Il ne faut jamais oublier que derrière les athlètes se profilent toujours des états, que glorifier les premiers c’est toujours acclamer et médailler le pays dans lequel ils ont été élevés, lui accorder un satisfecit, lui rendre un puissant hommage. »

Il importe donc de lutter contre l’hégémonie du modèle sportif, de rénover nos modes de penser. De manière plus positive, le progrès au travers du sport se doit d’être la promotion des activités de loisirs, où dominent la convivialité, l’amitié, l’entraide, la solidarité, l’hospitalité. Cette lutte ne peut être vaine ! Si comme le disait Karl Marx « tout produit historique est transitoire », il est alors en constant devenir et en devenir un autre, c’est-à-dire sujet à altération. Le sport n’est, de ce point de vue, ni éternel, ni impérissable, et, tout comme il est apparu et s’est développé dans une société donnée, il peut se décomposer et disparaître dans un autre type de formation sociale. « Rien n’est immuable », comme le notait déjà Hegel, « tout ce qui existe mérite de périr » et le sport ne saurait faire exception.

En réaction aux revendications des contestataires à la coupe du monde de Football, et à l’occasion du traditionnel congrès de l’organisateur, son président Joseph Blatter a tenté d’allumer un contre feu dans une allocution d’ouverture. Il a déclarait que le football « devait devenir pionnier de l’espoir, et promoteur de la santé et de la lutte contre le racisme et contre toute forme de discrimination ». Il a également souligné la nécessité d’agir en permanence dans l’esprit du fair-play, de la solidarité et de l’intégrité – que ce soit sur ou en dehors du terrain. Ces propos laissent sous-entendre que jusqu’alors le compte n’y est pas !

Si le football, et le sport de façon général, ne peuvent être que de piètres porteurs du progrès, il faudra les inciter  à décliner ses valeurs, et s’ils se veulent être promoteurs des idées d’amitié, de fraternité et de solidarité, il ne faut pas qu’ils se voilent les yeux devant les difficultés des populations à défaut d’être pris en grippe par celles-ci lorsque l’on vient chez elles. Auguste Comte, un autre montpelliérain (décidément !), père du positivisme déclarait « la formule sacrée du positivisme : l’amour pour principe, l’ordre pour base, et le progrès pour but. ». A Bons entendeurs !

Alors si naturellement, repenser le progrès dans le monde d’aujourd’hui, ne se résume pas à la question du monde sportif. La conscience de celles et ceux qui ont adopté les idées progressistes, les mène à repenser le progrès à travers l’intégralité des domaines. Ici même, dans ce blog, la réflexion s’ouvre sur les sujets d’actualités. Le débat se porte également sur les sciences techniques, les sciences humaines, les sciences sociales ou les sciences politiques… Mais il serait trop long de l’ouvrir dans ce type d’articles.

*DE BEAUX LENDEMAINS? ENSEMBLE, REPENSONS LE PROGRES, est la thématique qu’ont choisi de développer les traditionnelles Rencontres de Pétrarque (29ème édition) organisées par France Culture et le journal Le Monde.

Locaux, habitués, estivaliers ou de passage… si vous êtes à Montpellier la semaine du 14 au 18 juillet 2014, je vous invite à vous rendre dans la cour Soulages du Rectorat pour suivre les débats menés par Emmanuel Laurentin et Jean Birnbaum. Comme chaque année, des personnalités, aux profils bien différents, sont attendues pour éclairer, discuter et échanger (aussi avec le public…). Les petites souris annoncent pour ce cru : Etienne Klein, Christophe Bonneuil, Agnès Guillot, Geneviève Fraisse, Gérard Duménil

2013-07-15 17

Demandez le Programme :

Lundi 14 juillet - Leçon inaugurale

Mardi 15 juillet - La politique peut-elle se passer de l'idée de progrès ?


Mercredi 16 juillet - La révolution technologique nous promet-elle un monde meilleur ?

Jeudi 17 juillet - Déclin de l'Occident : d'où viendra le progrès demain ?

Vendredi 18 juillet - Peut-on remettre l'économie au service du progrès ?
 

« La personnalité créatrice doit penser et juger par elle-même car le progrès moral de la société dépend exclusivement de son indépendance » Albert Einstein.

Laurent Beaud

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