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le Kaléidoscope....
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30 juillet 2014

1914-2014. Un 31 juillet, « ils ont tué Jaurès ! »

« Au dernier jour de la paix en version Belle Epoque, le vendredi 31 juillet 1914, ce n’est plus franchement le sang-froid. Si les campagnes vaquent encore sans trop de fébrilité à leurs moissons, à Paris et dans les grandes villes on s’arrache les journaux, on prend langue sur le trottoir, des groupes traînassent, les bureaux de poste sont assaillis et les bonnetiers proposent de curieux articles d’été, caleçons épais, ceintures de flanelle et chaussettes de laine. (…)

Les officiers de réserve ont fait sortir leur uniforme de la penderie. Jaurès manifestement a vu juste ce matin-là, quand il a lancé dans son édito de L’Humanité : « Le plus grand danger de l’heure actuelle n’est pas dans les événements eux-mêmes {…}. Il est dans l’énervement qui gagne, dans l’inquiétude qui se propage, dans les impulsions subites qui naissent de la peur, de l’incertitude aiguë, de l’anxiété prolongée. » Et il a appelé au « sang-froid nécessaire ».(…)

Il est vrai que tout va finir parce qu’aux quatre coins de l’Europe la partie d’échecs s’est enfiévrée, qu’on anticipe à tout hasard, qu’on force la vapeur du convoi fou des alliances. Les militaires savent qu’ils doivent amorcer la mobilisation à l’instant H moins quelques heures, pour ne pas laisser à l’adversaire le temps de prendre une avance fatale dans le rassemblement de millions d’hommes et la mise en place d’une logistique complexe. (…)

Dans un taxi qui le conduit à trop vive allure du quai d’Orsay aux bureaux de l’Humanité, Jaurès plaisante : « Il va nous tuer ! » Non, répond son ami longuet, qui l’accompagne : « C’est un bon syndiqué et un socialiste, comme tous les chauffeurs parisiens. » Et, de fait, on arrive à bon port, vers 20 heures. Jaurès, sitôt au journal, agite les dépêches, contreverse, rumine l’article en forme de « J’accuse » qu’il va rédiger tout à l’heure, d’un trait comme toujours, sur un coin de table. Le papier de la dernière chance, qui doit aider à convaincre Viviani d’appuyer de tout le poids de la France la médiation britannique. Puis on descend dîner, tout près, vite fait, pour reprendre force avant de « boucler ».(…) 

Là, au Croissant, Raoul Villain, un jeune instable, un insignifiant, un dérisoire qui a trop lu les appels au meurtre de la presse nationaliste, vers 21h15, révolvérise « Herr Jaurès » à bout portant par une fenêtre basse du restaurant, entrouverte et qui bâille sur la rue passante. (…) »

Par ces mots, Jean-Pierre Rioux introduit par la fin de l’histoire, celle de son Jean Jaurès, ténor de l’opéra grandiose et parfois naïf que fut la République en ses débuts. Pour lui, « Raconter Jaurès, c’est retrouver les hymnes et les envolées oratoires ; c’est entendre les grands mots du philosophe, de l’intellectuel et de l’historien, du défenseur des droits de l’homme, de l’homme de la paix et de l’adversaire du colonialisme. Jaurès sait leur donner des ailes ». 

Jaures 1

Déjà 100 ans sont passés depuis ce jour tragique. A l’heure où le Parti Socialiste appelle à son éternelle refondation, il convient plus, à mon sens, de se souvenir de la réalité des combats menés, des luttes ouvertes du socialisme moderne, du verbe et de la personnalité de Jean Jaurès, que de « célébrer » le centenaire de sa mort, même s’il est indispensable de se raccrocher à la tragédie pour ne pas oublier ce passé pas si éloigné que cela de notre époque.

Nous pourrions relever beaucoup de parallèles, beaucoup de paradoxes entre ces deux périodes. Alors, il est difficile d’entendre encore aujourd’hui : « Assez de l’humaniste barbu, du martyr pour Panthéon et fin de banquets, de l’apôtre unitaire pour grand-messe de gauche ! ». Si on réduit Jean Jaurès à ses commémorations émues, on peut l’abandonner sans vergogne aux curieux et aux dévots, aux avenues de la Gare et aux frontons de groupes scolaires.

Alors oui ! Continuer à « Dire la vérité ! Regarder la réalité en face ». Continuer à délivrer le message de Jaurès.

Au regard du témoignage que fut la vie et l’engagement de Jean Jaurès, il est à concevoir que bien souvent les mots prononcés ou écrits , doivent mesurer l’ère du temps et l’intérêt général bien plus que les conséquences systémiques dont ils seront résultantes. Bien plus qu’un simple père fondateur, bien plus qu’un symbole, Jaurès par sa personne et ses discours fut le sens du combat militant que nous souhaitons poursuivre aujourd’hui, que nous souhaitons entendre demain. Il convient ainsi de (se) dire les choses avec passion, mais aussi avec sérénité, avec sincérité.

Dans son discours de politique générale, Manuel Valls a déclaré : « J’ai vu ces visages fermés. Ces gorges nouées. Ces lèvres serrées... Disons les choses simplement : beaucoup de nos compatriotes n’y croient plus. Ils ne nous entendent plus».

Des paroles aux actes ! N’ayons peur d’affirmer nos différences ! N’ayons peur de nourrir le débat dès lors qu’il est constructif ! N’ayons peur de dire lorsque nous ne sommes pas d’accord !

Le message de Jaurès était pourtant simple : « Le courage, c'est de chercher la vérité et de la dire.» ; « le courage, c’est dire la vérité sans subir la loi du mensonge triomphant qui passe ». Jean-Christophe si tu souhaites construire le parti socialiste du XXIème siècle, écoutes et entends Jaurès ! Ecoutes et entends les militant-e-s.

Le 31 juillet 1914, refusant d’aller dîner au Coq d’or, Jaurès préfère inviter ses amis, Landrieu, Longuet et Renaudel au café du Croissant. Il s’installe dos à la rue, derrière le rideau qui protège la fenêtre. Alors qu’il déguste une tarte aux fraises, un journaliste s’approche pour montrer une photo de sa fille à Landrieu. Jaurès se penche pour regarder. A ce moment, Raoul Villain, caché derrière un rideau au fond de la salle, tire et l’abat d’une balle dans la tête. « Ils ont tué Jaurès ! » crie une femme qui passe.

La veille, Jaurès avait dit à ses amis : « Cette guerre va réveiller toutes les passions bestiales qui dorment au cœur de l’humanité ». Le lendemain, ils ont tué Jaurès !

C’est tout un cri qui, à une vitesse incroyable, va se rependre, dans Paris, en France, en Europe, dans le monde. L’adéquation entre l’homme et la lutte pour la paix était telle que sa mort ne pouvait signifier que la certitude de la guerre. 

En réunissant dans la façon la plus tragique sa pensée et son action, en mourant pour ses idées, Jean Jaurès, notre camarade en humanité entrait dans l’histoire, et bien plus que cela.

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Alors s’« ils ont tué Jaurès », ne tuons pas ses idéaux ! 

En 1891, il tient ses mots : « Pour moi, je me sens plus près, par la raison et par le cœur, d’un républicain, si modéré soit-il, qui verra dans la République non seulement le fait mais le droit, que des prétendus socialistes qui se tiennent à l’écart du grand parti républicain. Notre but doit être, non pas de fonder des sectes socialistes en dehors de la majorité républicaine, mais d’amener le parti de la Révolution à reconnaître hardiment et explicitement ce qu’il est, c’est-à-dire un parti socialiste. Avant peu, il y sera contraint. ».

En juillet 1892, Jaurès complète dans un discours à l’usage des lycéens : « Il faut que vous vous arrachiez parfois à tous les soucis extérieurs, à toutes les nécessités extérieures, aux examens de métier, à la société elle-même, pour retrouver en profondeur la plénitude et la pleine liberté (…) Alors, jeunes gens, vous aurez développé en vous la seule puissance qui ne passera pas, la puissance de l’âme ; alors vous serez haussés au-dessus de toutes les nécessités, de toutes les fatalités et de la société elle-même, en ce qu’elle aura toujours de matériel et de brutal. Alors dans les institutions extérieures, en quelque matière que l’avenir les transforme, vous ferez passer la liberté et la fierté de vos âmes. Et de quelque façon qu’elle soit aménagée, vous ferez jaillir dans la vielle foret humaine, l’immortelle fraicheur des sources ».

Rendons lui de grâce l’hommage qu’il mérite ! « L’histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais elle justifie l’invincible espoir. » 

Que ferait Jaurès aujourd’hui ? Quels seraient ses choix ? Personne, bien sûr, ne peut le dire. Personne ne peut parler à sa place. Mais si nous aimons Jaurès, ce n’est pas seulement en songeant à un passé glorieux et tragique, c’est aussi parce que nous pensons qu’il peut nous aider à réfléchir, non nous donner des solutions toutes faites.

D’abord, un message de liberté et de fierté. Jaurès ne cesse de le dire, à ses élèves ou étudiants, comme à ses électeurs, aux militants et aux citoyens : soyez vous-mêmes, n’abdiquez pas votre liberté, soyez des citoyens et des citoyennes agissantes. C’est tout le sens de la phrase, si souvent répétée, du discours d’Albi à la jeunesse : « Le courage, c’est dire la vérité sans subir la loi du mensonge triomphant qui passe. » Propos général et consensuel ? En tout cas, pas inactuel : dans un monde complexe, incertain, la tentation est grande de laisser faire les leaders d’opinion, de suivre le courant… Des exemples récents ont montré la limite de l’exercice : se laisser porter par les vents dominants n’est pas la garantie d’un beau voyage.

Le 31 juillet 1914, le jour tragique de l’assassinat de Jaurès, parût dans l’Humanité l’article « Sang froid nécessaire ». Ce fut son dernier article. En voici quelques extraits :

« Que l’on mette si l’on veut les choses au pire, qu’on prenne en vue des plus formidables hypothèses les précautions nécessaires, mais de grâce qu’on garde partout la lucidité de l’esprit et la fermeté de la raison. À en juger par tous les éléments connus, il ne semble pas que la situation internationale soit désespérée. Elle est grave à coup sûr, mais toute chance d’arrangement pacifique n’a pas disparu. (…)

Et si l’on juge de ce que serait la guerre elle-même et des effets qu’elle produirait (...), on se demande si les plus fous ou les plus scélérats des hommes sont capables d’ouvrir une pareille crise.

Le plus grand danger à l’heure actuelle n’est pas, si je puis dire, dans les événements eux-mêmes. Il n’est même pas dans les dispositions réelles des chancelleries si coupables qu’elles puissent être ; il n’est pas dans la volonté réelle des peuples ; il est dans l’énervement qui gagne, dans l’inquiétude qui se propage, dans les impulsions subites qui naissent de la peur, de l’incertitude aiguë, de l’anxiété prolongée. À ces paniques folles les foules peuvent céder et il n’est pas sûr que les gouvernements n’y cèdent pas. Ils passent leur temps (...) à s’effrayer les uns les autres et à se rassurer les uns les autres. Et cela, qu’on ne s’y trompe pas, peut durer des semaines. Ceux qui s’imaginent que la crise diplomatique peut être et doit être résolue en quelques jours se trompent. De même que les batailles de la guerre moderne, se développant sur un front immense, durent sept ou huit jours, de même les batailles diplomatiques, mettant maintenant en jeu toute une Europe et un appareil formidable et multiple de nations puissantes, s’étendent nécessairement sur plusieurs semaines. Pour résister à l’épreuve, il faut aux hommes des nerfs d’acier ou plutôt il leur faut une raison ferme, claire et calme. C’est à l’intelligence du peuple, c’est à sa pensée que nous devons aujourd’hui faire appel si nous voulons qu’il puisse rester maître de soi, refouler les paniques, dominer les énervements et surveiller la marche des hommes et des choses, pour écarter de la race humaine l’horreur de la guerre.

Le péril est grand, mais il n’est pas invincible si nous gardons la clarté de l’esprit, la fermeté du vouloir, si nous savons avoir à la fois l’héroïsme de la patience et l’héroïsme de l’action. La vue nette du devoir nous donnera la force de le remplir.

Tous les militants socialistes inscrits à la Fédération de la Seine sont convoqués dimanche (...). Des réunions multipliées tiendront en action la pensée et la volonté du prolétariat et prépareront la manifestation assurément magnifique qui préludera aux travaux du Congrès socialiste international qui aura lieu le 9 août à Paris.

Ce qui importe avant tout, c’est la continuité de l’action, c’est le perpétuel éveil de la pensée et de la conscience ouvrières. Là est la vraie sauvegarde. Là est la garantie de l’avenir. » 

Conservons ces derniers mots en nos mémoires. Distribuons les ! N’oublions jamais Jaurès !

Laurent Beaud

P.S. Ce jeudi 31 juillet 2014, rendez-vous à l’initiative de la Fédération du Parti Socialiste de l’Hérault à 18h, place Jean Jaurès à Montpellier.

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