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le Kaléidoscope....
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20 septembre 2016

Les Primaires: Pièges à cons!

A l’orée des présidentielles de 2017, les citoyens français aiguisent leur arme démocratique d’expression favorite : la guillotine électorale. Sous le régime de la monarchie présidentielle, le fameux adage « Le président est mort ! Vive le président ! » reste plus que jamais d’actualité. Alors que nombreux estiment que la constitution et les institutions actuelles sont dépassées ou inadaptées à notre époque, le fait de choisir l’Homme providentiel réveille et mobilise en eux, malgré tout, leurs désirs démocratiques de débats et de joutes politiques pour se rendre aux urnes.

Mais voilà, outre le désormais classique ballet des ambitieux et des ambivalents sur les devants de la scène médiatique, le peuple est toujours plus en proie aux doutes quant à la prise en considération de ses aspirations, quant à la véracité des intentions et des discours tenus, quant à l’efficacité, à la fidélité et au respect de ses choix intimes. Ces doutes se transcrivent, élections après élections, par le vote blanc, le refus de s’intéresser à autrui et en la chose publique (non-inscription sur les listes électorales) et par l’abstention massive.

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Il y a peu, le philosophe, Jean Salem, universitaire à Paris 1 Panthéon Sorbonne, animant un séminaire sur Marx au XXIe siècle, s’interrogeait sur l’utilité du vote et sur les résultantes du système démocratique. Selon lui, le système est volontairement construit de façon imparfaite par l’oligarchie. Le vote a perdu  sa valeur car les sondages et la caste politique le confisquent. Il ne reste que l’illusion du choix et les élections ne pourraient à nouveau être utiles que s’il existait un mouvement populaire et révolutionnaire structuré hors les partis, qui puisse reprendre la fonction tribunitienne du PCF.

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D’ailleurs, en introduction de son ouvrage Élections, piège à cons ? Que reste-t-il de la démocratie ?, Jean Salem avait déjà prévenu: « De façon bien plus générale, la marche toute prosaïque des régimes dits « représentatifs » conduit toute personne sensée à penser, avec Alexis de Tocqueville, que « ceux qui regardent le vote universel comme une garantie de la bonté des choix se font une illusion complète ». Le « vote universel », ajoutait Tocqueville, «a d’autres avantages, mais non celui-là». Car rien ne dit que la majorité a toujours raison. Surtout lorsque la majorité est aussi évidemment fabriquée qu’elle l’est aujourd’hui. Sans parler de la masse immense de ceux qui ne jouent plus au jeu d’élections si souvent décevantes, déroutantes, ahurissantes, même. ».

Au delà de la critique globale et amère de Salem, il convient de considérer à l’image de Jean-Paul Sartre, que la construction de la sélection d'une candidature via l’organisation de primaires – à droite comme à gauche – « dissout le pouvoir du peuple », celles-ci excluant sociologiquement des pans entiers de la société, comme notamment les jeunes, les classes populaires ou les classes moyennes, de l’expression d’un choix que ces primaires entendent constituer.

En sus, comment comprendre que d’un côté l’on dénoncerait l’abstention d’un trop grand nombre de nos concitoyens – cette abstention permettant de gonfler, en valeur relative, les scores obtenus par le Front National – et que de l’autre, par l’organisation de primaires et par la sélection qu’elles induisent, l’on retirerait du choix des possibles le projet, la ligne politique ou le candidat qui correspondrait mieux à la vision des choses de ce même grand nombre de citoyens/électeurs, les poussant à retrouver la passion printanière de la pêche à la ligne, pour ne pas dire à s’abstenir ?

Dans son Antimanuel d’économie, Bernard Maris avait déclaré avec une pirouette « les libéraux sont des adeptes du darwinisme social, de l’élimination des faibles par la bienveillante sélection naturelle. ».

Longtemps, l’on nous a fait croire que pour cantonner les ultralibéraux, les extrémistes et les nationalistes, nous devrions adopter les préceptes des primaires américaines, qui organisent la bipolarisation de l’échiquier politique, sélectionnant et proposant des candidats sous l’unique aspect de l'image qu'ils désirent se construire et faire paraître à coup de monaies sonnates et trébuchantes, et éliminant tout ce que les composantes jumelles bipolaires considèrent comme minoritaire et à la marge. 

Dans la France du XXIème siècle, c'est un non-sens et une erreur de penser les choses ainsi. Il suffit d’observer rétroactivement la capacité qu’a eu le Front National à se placer au centre du jeu, sans réellement s’y impliquer, et à définir le jeu lui-même comme son adversaire. En se positionnant alors en antisystème de ce qu’il a dénommé «l’UMPS », celui-ci a réussi à créer une nouvelle bipolarisation – lui contre les autres –, permettant la qualification de son représentant au second tour de l’élection présidentielle de 2002. N’oublions pas que cet épisode désastreux a engendré l'hydeux « vote utile » qui n’a cessé depuis à être rabaché à l'oreille des électeurs en leur faisant craindre la peste brune, et qui in fine les a pousser à voter le plus vite possible, et ce afin de briser les alternatives au pouvoir en place et les projets de construction d’une autre société.

Si la principale caractéristique de l'américanisation de la politique française est qu'elle ne porte pas tant sur les débats d'idées que sur le style et les mécanismes de désignation des candidats et de pouvoir, pourquoi poursuivre dans cette direction ? Alors que la bipolarisation de la vie politique est si fortement ancrée dans les mentalités outre-Atlantique, il ne faudrait pas oublier que le système des primaires a broyé un Bernie Sanders, porté par toute une jeunesse, par les minorités, par les pauvres, ceux-là même qui ne se rendaient plus urnes, et qui reprirent avec lui goût aux sciences politiques, à l’humain, au social et surtout au socialisme aux USA. Il sera intéressant de voir la réaction des pro Sanders lorsque viendra la véritable élection.

De même, si la démocratie consiste à demander son avis aux peuples tous les 5ans et à gouverner ensuite sans respecter les promesses de campagne, il faudrait également rappeler (« répéter, c’est enseigner »!) qu’aux Etats-Unis, les présidents ne sont élus que par 25% à 30% des suffrages exprimés, les électeurs ne se déplaçant plus pour élire un gouvernement qu’ils savent oligarchique et le plus souvent,  sans effets notables sur leur quotidien. Aux Etats-Unis, il n’y a plus de plafond aux dépenses électorales, un désastre quand on sait que les financeurs attendent, bien entendu, un retour sonnant et trébuchant de leurs subsides ; le citoyen électeur de devient plus qu’un vulgaire consommateur dont on tente de conditionner le vote.

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Côté Gauche Française, pour la deuxième fois consécutive, le Parti Socialiste va organiser des Primaires qui désigneront son candidat. Pour Alexis Corbière dans Le piège des primaires, celles-ci sont l’«ultime astuce pour verrouiller un système à l’agonie, détournement électoral au profit des deux piliers lézardés de la Vème République qui veulent à tout prix se maintenir au pouvoir, les primaires sont antidémocratiques car elles nient le peuple.».

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S’appuyant sur les études qui ont été faites sur la primaire de 2011 organisée par le PS, Alexis Corbière s’applique à expliquer que la sociologie de ceux qui y participent est très typée et ne représente en rien la réalité profonde du pays. Il s’agit des CSP +, des clientèles des élus locaux et après des retraités. C’est-à-dire ceux qui s’intéressent encore à la vie des partis traditionnels. A l’inverse, les milieux populaires, déjà fortement abstentionnistes lors des élections, ne viennent pas à la primaire. 

Ce processus de désignation a la prétention, par le biais de ce « tamis social », de confier le choix d’un introuvable « candidat unique de la gauche », donc le seul qui aurait le droit de se présenter à la véritable élection, et en creux à disqualifier et interdire ceux qui refuseraient de plier le genou devant lui. « Concrètement au PS, ce stratagème permet d’envisager les conditions d’une nouvelle candidature de François Hollande alors que ce dernier est fortement cabossé dans l’opinion publique, rejeté même. Avec les primaires, l’actuel hôte de l’Elysée peut espérer se représenter, avec en apparence, l’onction d’une forme de nouvelle désignation plus large que son dernier carré de supporters. Finalement, contrairement à l’image qu’elle affiche d’elle-même, cette primaire n’a rien de populaire ni de citoyen, elle fonctionne en réalité au profit d’un appareil affaibli qui tente ainsi de détourner la profonde aspiration populaire au changement. »

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L’une des études les plus affligeantes pour les promoteurs des Primaires est celle qui fut menée sur Montpellier par Julien Audemard et David Gouard, chercheurs en sciences politiques au CEPEL à l’Université de Montpellier. L’étude permet de revenir sur l’angle mort dans la pensée de la gauche française et internationale: la marginalisation majoritaire de la classe populaire. « Au vu de ce que montrent les enquêtes de sociologie électorale menées depuis une vingtaine d’années, on assiste à un déplacement du centre de gravité du noyau dur de la gauche socialiste vers les couches moyennes, intellectuelles et urbaines. La gauche, et le Parti socialiste en particulier, ne parvient guère à contrarier les effets induits des inégalités de politisation qui tiennent à l’écart des urnes les milieux les plus en retrait du champ politique. Plus qu’une sorte de fatalisme sociologique, faut-il y voir la marque d’un certain désintérêt du PS pour ces franges de l’électorat ? ».

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Avec plusieurs camarades de La Nouvelle Gauche Socialiste, dans une tribune Idées intitulée « Mélenchon : le candidat de la raison. » publiée dans le journal Libération, je prévenais du piège de la primaire : «  Certaines voix en appellent à une primaire de toute la gauche pour désigner un candidat susceptible de se «qualifier» pour le second tour afin de faire barrage à l’extrême droite. Nous n’y participerons pas. Pour mobiliser les déçus du quinquennat, ce candidat devrait en effet, au minimum, défendre le programme du Bourget. Or, rien n’est moins sûr. Les expériences de 2007 et 2012 indiquent qu’une primaire, pourtant ultra-médiatisée, ne mobilise que partiellement l’électorat populaire et qu’elle finit par désigner le candidat le mieux placé dans les sondages. Elle musellera pour le reste du débat électoral toutes les forces qui auraient choisi d’y participer dans le but de réorienter la gauche. En participant à cette primaire, ces forces seraient inévitablement perçues comme des forces d’appoint du candidat social-libéral qu’elle aura contribué à légitimer, mais qui aura peu de chance de franchir le premier tour de l’élection présidentielle. »

En conclusion, si l’on pense que le seul vote utile est celui qui correspond à ses convictions et à ses envies, si l’on constate que l’organisation de primaires n’a pour seul but de verrouiller et reconduire les oligarques déjà en place et poursuivre les politiques actuellement menées, si l'on prévoit que les classes populaires et moyennes qui sont celles qui souffrent le plus des lignes austéritaires et libérales ne participerons pas à cette consultation, si l’on refuse de vivre les sempiternelles  reniements et promesses non tenues, si l’on refuse la sondocratie et la démocratie d’opinion… nous ne pouvons que dire « Primaires, piège à cons ! ».

Vivement la VIème République!

Amitiés insoumises,

Laurent Beaud

 

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